Accès à l’eau au Québec : un droit qui s’effrite
Il fut un temps où pêcher signifiait simplement suivre une route de campagne, garer sa voiture au bout d’un rang et glisser sa chaloupe à l’eau. Aujourd’hui, même avec un permis en règle et de la bonne volonté, accéder à un plan d’eau public relève trop souvent du parcours du combattant.
Dans les régions les plus peuplées du Québec – Laurentides, Lanaudière, Estrie, Montérégie, Outaouais, Montréal et Laval – des centaines de citoyens nous ont partagé un constat accablant : l’accès aux plans d’eau se referme, tranquillement mais sûrement. Et ce n’est pas une impression, c’est une réalité mesurable, vécue, répétée.
Une fermeture silencieuse, documentée sur le terrain
Les réponses à notre consultation en ligne, menée à l’hiver 2025, ont confirmé ce que nous redoutions. Des dizaines de lacs sont désormais difficiles, voire impossibles d’accès. Partout, des barrières sont apparues là où, il y a cinq ou dix ans encore, on pouvait facilement mettre une embarcation à l’eau. Des rampes publiques ont été démontées, des rues barrées, des stationnements interdits ou réservés aux résidents, et des pancartes « accès interdit » se sont multipliées comme s’il s’agissait de propriétés privées.
« On a perdu l’accès au lac qu’on fréquentait depuis toujours. Une rampe a été barricadée et le stationnement est maintenant réservé aux résidents. C’est devenu un lac privé, dans les faits. »
Un problème qui touche toutes les régions
Laurentides & Lanaudière
Les répondants de ces régions sont les plus nombreux à rapporter des cas d’accès restreint ou carrément disparu. Certains mentionnent que plusieurs lacs (Achigan, des Îles, Archambault) imposent des frais si élevés qu’ils reviennent à une forme d’exclusion : jusqu’à 400 $ la journée pour les non-résidents. À cela s’ajoutent des plages barrées, des rampes condamnées et des municipalités qui interdisent purement et simplement l’accès aux non-résidents durant les fins de semaine.
Estrie
Dans les Cantons-de-l’Est, le lac Memphrémagog revient à plusieurs reprises. On parle d’interdictions progressives, de fermetures temporaires devenues permanentes, et de contrôles d’accès qui dissuadent même les résidents des villes voisines. Un répondant nous rapporte que malgré la présence d’une rampe, « tout est fait pour que tu n’aies pas envie d’y aller : barrières, paperasse, coûts. »
Montérégie & Laval
Dans cette zone densément habitée, le fleuve Saint-Laurent lui-même devient difficile d’accès. Certaines villes comme Repentigny, Varennes ou Saint-Sulpice imposent des vignettes saisonnières coûteuses ou ferment carrément les mises à l’eau. L’accès au fleuve, pourtant linéaire et ouvert, est restreint par des décisions municipales prises sans consultation des usagers.
Outaouais
Le potentiel y est immense, mais là aussi, plusieurs lacs n’offrent plus d’accès libre aux citoyens. Certains répondants parlent de barrières physiques installées par les municipalités ou de stationnements inaccessibles sauf pour les riverains.
Une fausse justification : protéger… en excluant
Les raisons invoquées sont souvent les mêmes : sécurité, protection de l’environnement, surfréquentation. Nous les comprenons. Mais nous refusons qu’elles servent de prétexte à la fermeture progressive de l’accès public à l’eau. Ce qu’on observe trop souvent, ce ne sont pas des politiques de conservation équilibrées, mais des mesures d’exclusion déguisées. La protection ne doit pas rimer avec privatisation.
Ce que disent les citoyens
Voici quelques extraits anonymisés qui parlent d’eux-mêmes :
« Même quand la mise à l’eau est encore accessible, il n’y a nulle part pour stationner. Ou alors, on se fait avertir, voire remorquer. Ce n’est pas viable. »
« La municipalité a installé une barrière avec cadenas. L’accès est maintenant réservé à ceux qui ont une clé, c’est-à-dire aux résidents du secteur. Pour tout le reste du monde : circulez. »
« La station de lavage est à 30 minutes, fermée les fins de semaine, mais obligatoire pour avoir un accès. C’est un piège. »
« Je n’ai aucun problème à payer un accès raisonnable. Mais 400 $ pour mettre une chaloupe à l’eau, c’est du délire. On ne veut pas acheter le lac, juste pêcher une journée. »
« Quand tu veux initier tes enfants à la pêche et que tu passes plus de temps à chercher une rampe ouverte qu’à lancer ta ligne, tu finis par abandonner. Et c’est ce qui se passe. »
Ces témoignages ne proviennent pas d’un coin reculé ou d’un seul incident isolé. Ils sont issus de régions habitées, actives, où les citoyens ont historiquement entretenu un lien fort avec les plans d’eau. Des régions où l’accès aux rivières, aux lacs, au fleuve, est aujourd’hui compromis par une logique d’exclusion.
Des conséquences réelles pour les pêcheurs
Au-delà du droit individuel de pêcher ou de naviguer, ce sont des pans entiers de la culture québécoise qui s’érodent. Quand l’accès à l’eau devient un luxe ou un casse-tête, ce sont les familles à revenu modeste, les jeunes, les nouveaux arrivants, les aînés, qui décrochent les premiers.
L’accès à la nature, c’est un facteur de santé publique, d’éducation, de lien intergénérationnel. C’est aussi une porte d’entrée vers la connaissance du territoire et le respect de l’environnement. Priver la population de cet accès, c’est renoncer à un modèle de plein air démocratique.
Des solutions existent pour favoriser l’accessibilité
Certaines municipalités ont montré qu’il est possible de concilier protection de l’environnement et accès équitable. Elles offrent des rampes gratuites ou à coût raisonnable, avec des mécanismes simples de contrôle (heures d’ouverture, stationnements régulés, etc.). Elles investissent dans des installations sécuritaires et bien entretenues, sans pour autant restreindre arbitrairement leur accès aux seuls contribuables locaux.
Le gouvernement du Québec a aussi un rôle à jouer. À travers les programmes d’aménagement, d’aide aux infrastructures ou de soutien aux municipalités, il peut encadrer et encourager de meilleures pratiques. Le respect de l’accès public aux plans d’eau devrait devenir un critère incontournable dans l’attribution des fonds publics.
Ce que nous demandons
À la Fédération québécoise des chasseurs et pêcheurs, nous réclamons une approche cohérente, équitable et durable de l’accès aux plans d’eau. Cela commence par :
- L’identification claire de tous les accès publics existants et la protection de ceux-ci par règlement.
- L’encadrement des frais exigés par les municipalités pour éviter les dérives discriminatoires.
- Le soutien aux municipalités pour maintenir des infrastructures sécuritaires, sans exclure les non-résidents.
- La mise en place de stations de lavage fonctionnelles, accessibles et gratuites ou abordables lorsqu’elles sont exigées.
- Une campagne nationale de sensibilisation pour valoriser l’accès collectif à l’eau, au même titre que l’accès aux sentiers ou aux parcs.
L’eau appartient à tout le monde
L’accès à un lac, à une rivière ou au fleuve Saint-Laurent ne devrait jamais devenir un privilège réservé aux mieux nantis ou aux seuls résidents riverains. L’eau est un bien commun. Elle fait partie de notre culture, de notre territoire et de notre avenir collectif.
C’est pourquoi nous continuerons à documenter la situation, à mobiliser les citoyens et à interpeller les décideurs. Parce que défendre l’accès à l’eau, c’est défendre notre droit fondamental d’habiter le territoire.