Les yeux sortis de la tête
Histoire d'une première pêche au sébaste
C’est époustouflant, les falaises bleues qui courent le long de la glace. Quand on met les pieds sur le Fjord, on touche à la grandeur de la nature. On relativise, on devient un flocon de neige parmi tous les autres.
À peine le premier souffle de vent senti, je suis déjà satisfaite de mon expérience. Pêcher sur le Fjord, c’est d’abord se remplir de la beauté de la nature.
C’est le mois de mars, j’ai au moins évité les froids glaciaux de février. Mais malgré tout, il faut être équipé pour avoir du plaisir à passer une journée sur la glace. Laissez votre orgueil de côté, l’habit de neige qui vous donne l’air du bonhomme Michelin, c’est celui-là que ça vous prend.
Attention, il ne faut pas s’emmitoufler dès l’arrivée. Il faut d'abord transporter le traîneau contenant tout l’équipement nécessaire jusqu’à l’endroit où on perce les trous. Et puisque les motoneiges, ce sont des machines du diable qui crèvent les oreilles des poissons, eh bien nous on joue au cheval en traînant le stock à pied. Je ne pensais jamais suer comme ça en ayant les deux pieds sur la glace au beau milieu d’un corridor de vent. À vous de voir si vous êtes puristes ou pas.
Ne me plaignez surtout pas, je me suis portée volontaire pour tirer le traîneau, et tout aussi vite que j’avais levé la main la première fois, je l’ai relevée quand un de mes compagnons de pêche m’a offert de prendre le relais.
Alors une fois arrivés à l’endroit stratégique, on s’installe. Là je dois faire un court aparté pour vous parler de celui qui a choisi l’endroit stratégique. Notre guide, Rémi. C’est un pêcheur, un homme plus grand que nature, qui connaît le Fjord comme personne. Il est passionné de pêche, plus que tous les passionnés de pêche réunis que vous avez déjà rencontrés. Il nous explique en détail chaque étape de l’installation. Il effectue chaque geste avec la lente précision de celui qui profite du moment et qui l’apprécie pleinement. Je comprends vite qu’on a affaire à un personnage hors de l’ordinaire et je suis admirative de cette communion qu’il a avec son fjord.
Une fois qu’on comprend le principe de l’installation, l’équipe se met à la tâche. On perce des trous, on installe des branches à la diagonale juste au-dessus et lui accroche une longue corde. On descend ensuite la corde jusqu’à ce qu’on sente le fond, puis on remonte un petit peu en faisant un ou deux tours de la branche. Les poissons qu’on cherche, ils sont là, tout au fond de la mer. Un dernier ajout : une petite clochette qui va nous avertir de la présence d’un poisson.
Cette installation artisanale est celle que Rémi nous montre pour exposer toute la simplicité de la pêche. On garde aussi quelques trous libres pour y pêcher avec les cannes à pêche que nous avons apportées.
À quoi on s’attend ? Surtout du sébaste, ce petit être rouge qui a les yeux sortis de tête quand il arrive à la surface. Il paraît qu’un groupe a accroché un flétan la semaine d’avant. Ça pourrait arriver encore ! Alors la pêche commence officiellement, la surveillance des branches, le dandinement des cannes, les histoires de pêche.
Au fil de la journée qui avance et des clochettes qui résonnent, Rémi nous montre à ferrer le poisson et à le remonter. Avec mon œil de lynx, je repère une branche qui frétille dans le silence de sa clochette gelée, et je pars à la rencontre de mon premier sébaste. Il faut tirer sur la corde assez longtemps parce qu’il est creux ! Il arrive enfin, me fixant de son regard inquiétant.
Pendant ce temps, un de nos compagnons s’agite en remontant sa ligne. C’est lui le prochain chanceux qui va récolter du poisson ! Surprise, il remonte une raie ! En faisant bien attention de ne pas se piquer, il retourne la raie à l’eau.
La journée se poursuit avec quelques autres sébastes et un vent puissant qui se lève. Il faut prendre quelques marches pour se réchauffer, mais ça reste tolérable. J’avais oublié de mentionner que les vrais de vrais comme Rémi n’ont pas besoin de cabane. Ça permet de se déplacer au besoin pendant la saison. Alors sur notre petite chaise de camping, on sort notre sandwich et on prend une bouchée entre deux séances de réchauffage de mains dans les mitaines. La vraie vie dehors.
Les poissons se font plutôt rares, mais la camaraderie des pêcheurs augmente avec le temps et le p’tit remontant qui passent. (Ne vous inquiétez pas, rappelez-vous qu’on est venus à pieds). La journée est donc fort agréable. Et on peut rigoler un peu aux dépens de notre ami qui remonte une deuxième raie. Ou la même?
Pendant ce temps, j’arrive à récolter quelques sébastes qui seront dégustés le soir même. La pêche se termine avec la visite des agents de Pêches et Océans Canada qui font le tour des sites en cette dernière journée de la saison. Les gars en profitent pour piquer une jasette au sujet de la saison pendant que je continue de pêcher. Facile de comprendre pourquoi c’est moi qui a la meilleure récolte ;)
On remballe l’équipement tranquillement, tout aussi minutieusement qu’on l’a installé, et on retourne à l’auberge. Après une journée comme celle-là, on ne peut que se promettre de remettre ça !
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