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Les espèces envahissantes : un enjeu à prendre au sérieux pour la pêche

Moules zébrées, carpes asiatiques, myriophylle à épi : voici quelques exemples d’espèces envahissantes qui peuvent ruiner d’excellents « spots » de pêche. Que peut-on faire pour protéger nos cours d’eau de ce fléau?  

Par Simone Caron

 

Les espèces envahissantes sont considérées comme l’une des principales menaces pour la biodiversité aquatique au pays. Juste dans les Grands Lacs, on estime qu’elles ont causé une perte de 7,5 milliards de dollars en revenus liés aux activités récréatives, au tourisme et à la pêche.

 

Qu’est-ce qu’une espèce aquatique envahissante?

Ce sont des espèces de poissons, d’invertébrés ou de plantes qui ont été introduites dans un nouvel écosystème, donc en dehors de leur habitat d’origine. On les considère envahissantes lorsqu’elles se reproduisent et deviennent abondantes dans ce nouveau milieu. Souvent, elles n’ont aucun prédateur naturel pour limiter leur prolifération.

 

« Quand une espèce devient très dominante dans un écosystème, c’est rarement sans conséquence », indique Annick Drouin, biologiste au ministère de l’Environnement, de la Lutte contre les changements climatiques, de la Faune et des Parcs (MELCCFP).

 

Les espèces envahissantes accaparent les ressources et créent ainsi une compétition féroce pour la nourriture. Parfois, elles peuvent aussi nuire à l’écosystème en modifiant l’habitat naturel ou apportant de nouveaux pathogènes. En conséquence, elles entraînent un déclin des espèces indigènes, dont les poissons prisés pour la pêche.

 

Par exemple, l’écosystème du bassin du Mississippi aux États-Unis a complètement changé depuis l’introduction des carpes asiatiques. À certains endroits, elles représentent maintenant 90 % de la biomasse de poisson! Difficile de pêcher autre chose…

 

D’où viennent-elles?

Dans la majorité des cas, le vecteur de dispersion des espèces aquatiques envahissantes est d’origine humaine. Le Québec a pris conscience de l’ampleur du problème vers la fin des années 1980. À cette époque, les échanges internationaux par bateaux en provenance d’Europe vers les Grands Lacs ont commencé à être plus fréquents. Les eaux de ballast de ces navires de marchandises ont transporté plusieurs espèces exotiques, dont la moule zébrée.

 

Depuis, on a instauré des mesures pour réduire les risques liés aux eaux de ballast. Cependant, les espèces déjà introduites peuvent continuer de se propager dans les eaux intérieures par l’entremise des bateaux de plaisance ou de pêche.

 

C’est le cas de la moule zébrée qu’on retrouve maintenant jusque dans le lac Témiscouata. Elle peut facilement envahir des plans d’eau, car une seule femelle pond jusqu’à un million d’œufs par année!

 

La moule zébrée mesure moins de 5 cm. Elle s’accroche aux bateaux et peut ainsi se disperser dans d’autres cours d’eau.

 

Mieux vaut prévenir que guérir

Une fois qu’une espèce envahissante est implantée, elle peut rapidement devenir hors de contrôle. Même dans les cas où l’on réussit à la maîtriser, cela demande des efforts continus et très coûteux.

 

« On peut rarement revenir en arrière, alors c’est toujours mieux d’empêcher l’arrivée d’une nouvelle espèce », indique Olivier Morissette, professeur au département de biologie de l’UQAC. « Et les pêcheurs, surtout ceux qui se promènent beaucoup, doivent faire des gestes pour prévenir la propagation d’espèces envahissantes », ajoute-t-il.

 

Il est primordial d’inspecter son embarcation, de vider l’eau qu’elle contient et de la nettoyer à l’eau chaude lorsqu’on se déplace d’un lac à l’autre. Cela permet d’enlever les morceaux d’algues, les mollusques ou tout autre organisme qui se collent aux bateaux, aux kayaks, aux planches et à l’équipement, et qui pourraient coloniser un nouveau cours d’eau. De plus, il est important de respecter les règlements en vigueur, comme ne pas utiliser des poissons appâts vivants ni transporter une prise dans un autre cours d’eau.

 

« Le nettoyage à l’eau chaude est reconnu pour être vraiment efficace quand il est bien fait. C’est un petit geste qui fait une grosse différence. »
– Annick Drouin, biologiste au MELCCFP

 

Le nettoyage des bateaux est efficace pour limiter la propagation du myriophylle à épi, une plante aquatique envahissante.

 

Cependant, les experts déplorent le fait que certaines municipalités imposent des frais exorbitants aux pêcheurs qui se déplacent sous le prétexte de la lutte contre les espèces envahissantes. « C’est une manière détournée de privatiser des lacs et je m’oppose à cette pratique », soutient Claude Lavoie, professeur à l’Université Laval et spécialiste des plantes envahissantes. 

 

« Le ministère veut que les plans d’eau demeurent accessibles à tous », précise Annick Drouin, qui croit que les municipalités devraient obliger le nettoyage des embarcations plutôt qu’imposer des frais à la mise à l’eau.

 

Signaler les observations

En tant que pêcheur, vous pouvez aussi contribuer à la lutte contre les espèces envahissantes en vous informant des espèces présentes dans la région et en déclarant les observations étranges. Par exemple, on sait que la carpe de roseau peut se retrouver dans la rivière Richelieu, alors il est pertinent de savoir la reconnaître si vous y pêchez, et surtout de la signaler si vous en capturez une. Plus récemment, en juin 2024,  d’autres captures ont eu lieu dans le lac des Deux Montagnes.

 

De manière générale, si vous soupçonnez avoir pêché une espèce envahissante, il faut toujours noter les coordonnées et prendre des photos qui permettent d’identifier l’espèce. Vous devez ensuite signaler l’observation en communiquant directement avec le ministère, à travers l’application IPêche, ou en le déclarant sur le site internet Sentinelle.

 

Idéalement, c’est mieux d’attendre la confirmation qu’il s’agit bien d’une espèce envahissante avant de la remettre à l’eau ou non. Mais si l’on n’est pas encore certain, la biologiste du ministère rappelle qu’il faut relâcher le poisson vivant pour éviter de tuer d’autres espèces inutilement. « Pour un œil moins expert, la carpe de roseau peut ressembler au chevalier cuivré, une espèce menacée, explique-t-elle. Alors ce serait dommage de mettre à mort un poisson en danger. »

 

La carpe de roseau est une espèce de carpe asiatique envahissante.

 

Les signalements sont précieux pour faire avancer la science et pour permettre aux autorités d’agir rapidement. « Souvent, les informations les plus importantes sont celles qui ont été amenées par des pêcheurs, indique le chercheur Olivier Morissette. Les pêcheurs sont nos yeux supplémentaires dans les endroits où l’on n’avait pas vu venir l’arrivée d’une espèce envahissante. »

 

Le professeur Claude Lavoie invite donc les friands de la pêche à prendre conscience des espèces envahissantes et d’agir pour prévenir leur propagation. « Ça prend 10 minutes pour nettoyer son bateau, mais c’est un geste qui peut protéger votre expérience de pêche dans le futur. »