Une réussite féminine sur toute la ligne !

Par: Lyne Bélanger

 

Durant la dernière année, j’ai malheureusement perdu un grand compagnon de chasse; mon père. Comment retourner à la chasse sans papa dans notre équipe? Cela me semblait impensable… Pourtant, nous n’avons pas eu d’autre choix que de chasser sans lui, ma mère et moi. Difficile de ne plus l’entendre “caller”, de ne plus passer du bon temps avec mes deux parents ensemble. Je ne pourrai plus lui faire venir des orignaux, je devrai me passer de sa bonne humeur, de sa présence, quel vide!

 

En plus, cette année, un phénomène nous inquiétait. La tique d’hiver s’est installée sur notre territoire depuis deux ans et la quantité d’orignaux a diminué considérablement. Nous en avons même retrouvé à l’odeur au printemps dernier. Ce n’était pas de bon augure! Nous qui adorons consommer de la viande de gibier, serions-nous capables de récolter un orignal cette saison?

 

Maman et moi avons donc décidé de tout de même aller à la chasse sur les terres du Séminaire de Québec dans Charlevoix, au petit camp de mes beaux-parents qui étaient aussi présents. Je les remercie encore de l’invitation. Maman m’a légué la carabine 308 à verrou de mon père. Que de stupéfaction d’abord, et de joie par la suite! Je suis allée au champ de tir avec elle pour me pratiquer. J’étais contente de constater son bon état. La première fois que j’ai mis le doigt sur la gâchette, je tremblais comme une feuille. Je réalisais que j’avais l’arme de mon père entre les mains et que lui n’était plus là, qu’il ne s’en servira plus jamais. Pourra-t-elle me porter chance? Ce serait pour moi une légère consolation. À ce moment-là, j’ai la larme à l’œil.

 

 

Nous entrons en forêt le 23 septembre. Ce n’est jamais facile de trouver des gardiens pour ses enfants, mais heureusement, j’ai été choyée. Je ne pourrai les amener avec nous qu’à certains moments, mais cela reste un grand bonheur pour moi. C’est ma relève, et je trouve important de leur transmettre cette belle passion.

 

En me préparant pour le lendemain matin, j’ai le cœur serré et excité à la foi. Nous mangeons une excellente tourtière à l’orignal accompagnée d’une salade comme premier repas avec la photo de papa sur le coin de la table.

 

Samedi matin, 5 h 30: premier matin de chasse

Je regarde par la fenêtre de la chambre. Il fait encore noir, aucun vent à l’horizon, pas même une légère brise. Je sors du lit en trombe. C’est la seule période de l’année où je suis si matinale, c’est sûrement relié à ma passion et mon niveau d’adrénaline. Mon père n’étant plus là, j’ai eu le mandat de “caller” moi-même au petit camp. Je me prépare donc et je me pointe le nez dehors. Aussitôt la clarté arrivée, je peux lire 4 degrés sur le thermomètre extérieur, j’ajoute une épaisseur de vêtement sur mon corps et j’écoute tout ce qui se passe sur la galerie. C’est très silencieux. J’observe, je sens, j’écoute. Je descends faire quelques pas en "callant" deux cris de femelle en oestrus et j’écoute... Rien, aucune réponse, aucun bruit. Après dix minutes, je casse une branche, je fus surprise de mon beau craquement, sans succès encore. Je sors mon cornet et j’émets deux cris de femelle à longue portée. On pouvait entendre l’écho dans les montagnes. Encore là, aucun signe de vie. J’attends 30 minutes et je fais un cri de jeune mâle tout en allant jouer dans les aulnes, rien à faire, j’ai l’impression d’être vraiment dans un désert…

     

À 9 h, je décide d’aller me réchauffer à l’intérieur du petit camp avec les autres et j’en profite pour prendre une bouchée. Mike, mon compagnon et moi avons décidé d’aller parcourir le territoire afin de trouver différents lieux de fréquentations des orignaux. On constate avec déception que les pistes sont rares. Le temps passe… Je réalise que ce n’est vraiment pas comme d’habitude. Au fil des jours, on aperçoit quelques orignaux qui se sont déjà groupés. On ne voit que des femelles avec des jeunes. On a droit à la récolte d’une femelle, mais on souhaite préserver celles qui ont des bébés. C’est la première année qu’aucun buck ne se manifeste sur mes actions, je suis étonnée et un peu déçue. C’est comme si la première période de rut était passée…

 

Mercredi 28 septembre

C’est ma dernière journée de chasse de la semaine et je me sens un peu mélancolique. J’ai l’impression d’abandonner ma gang, mais la famille et le travail oblige. Le temps est nuageux, il fait huit degrés, toujours sans vent. Nous parcourons des bûchers à bord de notre véhicule… Tout d’un coup, on découvre un chemin couvert de pistes et ce, sur une bonne distance. C’était à couper le souffle, vraiment! Sans aucun doute, il y avait plusieurs orignaux à cet endroit.

 

Je stationne le véhicule en le camouflant beaucoup plus loin qu’à l’endroit stratégique. Mike et moi attendons une vingtaine de minutes et nous imitons un couple d’orignaux. Je suis convaincue que les orignaux se tiennent dans la couette de bois entre deux bûchers. Après maintes simulations, à force d’inaction, on prend la décision de partir et de revenir plus tard.

 

Petite période de repos à l’heure du dîner, on prend une petite collation et je vais rafraichir mon maquillage. Mike me lance d’un air coquin : « Jamais sans maquillage, hein? » Je lui réponds spontanément : « Cela fait partie de mon art de séduire le buck et j’éclate de rire! En passant, j’adore utiliser mon eau de toilette (urine de femelle orignal). Hahaha!

 

Il est presque quinze heures, on décide de contourner le bûcher de ce matin, où il y avait tant de pistes, à bord de notre pick-up. Tout à coup, une belle grosse femelle apparaît et s’arrête en plein milieu du chemin. Vite... Je sors de l’auto avec notre carabine (30 06 à pompe), celle qui était la plus facile d’exécution. Je vise la zone vitale de l’animal et ainsi j’abats enfin mon premier orignal. J’aurais préféré récolter un buck et avoir utilisé la carabine de mon père, mais son arme ne pouvait pas contenir de chargeur. Il fallait réagir très vite. Il faut que vous sachiez que je n’aime pas les armes à feu. J’ai toujours laissé Mike faire l’abattage. Moi ce que j’aime, c’est d’interagir, de communiquer avec les animaux! Je n’ai pas la même fierté et le mérite d’une chasse fine, mais c’est une belle réussite tout de même. J’adore jouer le rôle de la guide, en toute simplicité avec l’humain et l’animal. Un ami m’avait dit avant la chasse : « Lyne, n’oublie pas, le panache ne se mange pas… Il avait parfaitement raison. Nos compagnons de chasse étaient vraiment contents de cette belle récolte à la cinquième journée de chasse intensive. Je venais de garantir de la viande dans nos congélateurs. Quand j’ai réalisé que j’ai réussi ma chasse le 28 septembre, journée de l’anniversaire de mariage de mes parents, un courant m’a traversé le corps en entier. Pour nous, c’est toute une coïncidence. Chaque année, à la chasse nous célébrions ce bel événement. J’ai serré très fort ma maman, le cœur serré et rempli d’émotion. Mon père semblait si près de nous.

 

 

Samedi 1er octobre

Le paysage commence à dévoiler ses chaudes couleurs, c'est tellement beau, c’est ma saison favorite, sans contredit…

 

On peut apercevoir le soleil à l’aube, quelle beauté... Comme d’habitude, je “calle” au petit camp le matin, et ce, toujours sans succès… Mais l’espoir réside toujours en moi. Mes garçons sont présents cette fin de semaine et j’en suis ravie. Ils vont parcourir le territoire avec nous. Mike part avec les gars et moi avec ma mère et je la conduis profondément heureuse de l’accompagner.

 

Vers la fin de l’avant-midi, nous nous rendons au petit camp prendre un bon café. Après, nous allons nous asseoir sur la galerie. Ouf! Comme il fait chaud, on est obligé de se mettre en chandail à manches courtes. On ne pouvait rester là, à se faire plomber au soleil comme deux perdrix, nos glandes sudoripares vont bien trop dégager. J’offre à maman de repartir en jeep.

 

Dans un certain bûcher, j’aperçois Mike au loin avec les enfants dans notre pick-up. On ralentit pour ne pas leur nuire. Tout à coup, je sens que l’on m’observe à gauche. Ma vitre était baissée, je chuchote et dis à maman nerveusement : « Buck mom ». Mon cœur battait à tout rompre. Il est environ à 350 pieds de nous. Ma mère sort du véhicule sans perdre de temps, place sa mire sur l'animal et « bang! », l’orignal a déguerpi vers la droite dans le boisé à toute vitesse. Pendant tout ce temps, les gars ont tout vu de leur véhicule. Mon garçon Jean-Philippe dit à son père et son frère Antoine: « Grand-maman mire », ils entendirent le coup de feu sur-le-champ.

 

L’adrénaline nous habite au plus haut niveau… On se rejoint dans le silence le plus total, il est 1 heure de l’après-midi. Il faut attendre 30 minutes. Ce fut pour nous interminable. Maman est confiante de sa justesse de tir, mais une petite crainte est toujours là. On espère, on jette notre regard vers le ciel, en invoquant papa, on se croise les doigts. On veut à tout prix le retrouver. Ce buck-là est arrivé comme une image dans l’angle parfait en plus! Je n’en reviens pas. Aussitôt le temps d’attente écoulé, on part à la recherche du gibier convoité…

 

Mike ayant écouté mes indications sur la trajectoire du jeune buck, il remarque vite des gouttes de sang, qu’il suit à la trace tel un chien de sang et retrouve l’animal à 150 pieds du lieu du tir.

 

 

Toute une gamme d’émotions, de pleurs et de joie nous a envahies. Ma mère a récolté son orignal, elle aussi, un beau buck de trois ans et demi, dont le poids, est de 485 livres, en quartiers, sans la peau. Elle l’a atteint d’une seule balle dans le vital, wow! Elle m’a impressionnée par sa vitesse d’exécution et son sang- froid. Nos gars étaient présents à notre expédition, ils ont adoré vivre cette belle expérience avec nous. Maman ne peut être plus fière d’elle, une femme très courageuse. Imaginez ma réaction quand j’ai su que mon gars Jean-Philippe mon plus vieux (11 ans) avait “callé” avant notre arrivé. Celui-ci avait lancé de petits cris de buck. Alors, il est très plausible que ce soit lui qui a fait sortir ce buck... je ne pouvais pas le croire! Impossible d’être plus fière de mon fils, ma propre relève.

 

 

Le premier geste que j’ai posé en entrant au petit camp est d’aller embrasser et serrer la photo de papa dans mes bras tout en le remerciant. Ne pouvant être présent de corps, je crois fortement qu’il était avec nous d’esprit. Je récolte un orignal le jour même de son anniversaire de mariage à ma dernière journée de chasse de la semaine. Son petit-fils qui “calle” si bien, à son image, partage sa date d’anniversaire avec celle de son décès; le quatre février.  Un autre orignal sort du bois comme par magie devant maman et moi dans la position espérée. Je pense que papa a soufflé un mot à St-Hubert, le patron des chasseurs pour nous faire vivre ces riches moments. C’est vraiment spécial qu’un duo mère et fille réussisse de cette façon. Mon père, qui a pu constater mon potentiel à plusieurs reprises, a eu le temps de voir que mon rêve commence à se réaliser. Il a toujours cru au succès de la femme dans ce milieu d’hommes. J’ai à peine eu le temps de lui montrer et de lui lire ma parution dans la revue Sentier Chasse-Pêche sur son lit d’hôpital quelque temps avant son départ. Cet automne, je crois qu’il voulait faire plaisir à sa famille, la réconforter et surtout nous montrer qu’il est toujours présent.

 

Je dédie donc cet article à mon très cher papa…

                                                                                          

  Lyne Bélanger